IRRIGATION DES VIGNES.

Gestion de l'eau en viticulture

Avec l’hiver actuel qui se termine par une pluviométrie importante dont les sols et nappes phréatiques avaient cruellement besoin, les défis de la gestion de l’eau semblent s’éloigner. Pourtant, avec un réchauffement climatique qui s’intensifie, la filière se trouve confrontée à de multiples défis liés à l’eau. Voici un premier regard sur les défis qui nous attendent, via une approche technique et collective.

Une approche collective et technique pour relever le défi

Contexte climatique actuel et prévisionnel

D’après les études du GIEC de 2021, le pourtour méditerranéen est un territoire particulièrement exposé aux effets du changement climatique. Ces changements s’observent dès aujourd’hui dans notre région et plus particulièrement au sein du territoire de l’AOP Côtes de Provence, avec des indicateurs climatiques évoluant plus rapidement que les prévisions : la température moyenne annuelle a augmenté de +1,5°C par rapport à la moyenne des années 1960-1990, largement au-dessus des 0,5°C projetés initialement (Météo France, 2024). Les scénarios les plus pessimistes craignent une augmentation à +5,5°C d’ici 2100.

Si notre région s’est trouvée régulièrement touchée par des périodes de déficit en pluie (1921, 1949, 1989, 2005), l’augmentation des températures, du rayonnement et la variabilité des pluies augmentent significativement les phénomènes de sécheresse. La répartition des pluies devient moins efficace avec l’augmentation de phénomènes météorologiques violents : +22% d’intensité des pluies avec une fréquence des épisodes méditerranéens de trois à six par an, soit deux fois plus qu’en 1960 (GREC SUD, 2023).

« Le défi de demain est de savoir capter l’eau qui peut tomber violemment. »

Selon les prévisions, si les cumuls de pluies sur la décennie devraient être stables, leur variabilité annuelle et leur intensité seront plus importantes : les périodes de sécheresse peuvent être plus longues et plus conséquentes (couplées avec des fortes températures), suivies de périodes pluvieuses parfois violentes, qu’il faudra savoir capter et redistribuer.

La gestion de l’eau, avec notamment la gestion de l’irrigation, se doit d’être ajustée finement et proportionnée pour répondre réellement aux problématiques : maintenir la qualité des raisins sans basculer dans l’épuisement des réserves en eau.

Une gestion technique optimale

L’irrigation en AOP Côtes de Provence n’est et ne doit pas être systématique.

En quelques chiffres, la part de surface irrigable en Côtes de Provence est de l’ordre de 22%, avec des systèmes principalement en goutte à goutte (90%) selon nos données de 2024.

L’utilisation de l’eau en viticulture doit être réfléchie comme un complément après avoir mis en place différents leviers d’adaptation. La qualité des sols avec l’augmentation de la rétention et de l’infiltration en eau des sols, l’adaptation du matériel végétal (porte greffe et cépages) ainsi que la conduite de la vigne (taille et canopée) sont des leviers d’adaptation majeurs et prioritaires.

Sur les parcelles le nécessitant, le recours et le développement du système d’irrigation pourra se faire uniquement avec un pilotage fin et raisonné de l’eau, pour des questions quantitatives d’eau, d’agronomie (qualité des vins) et d’acceptabilité sociétale.

Le matériel étant acquis (majorité de goutte à goutte), ce pilotage passe principalement par des connaissances, des outils d’aide à la décision (OAD) et outils de mesures pour apporter la bonne dose au bon moment. Nous constatons aujourd’hui une disparité très forte de consommation d’eau moyenne entre les secteurs allant de 400m3/ha à plus de 1200m3/ha pour une même année. Le pilotage de l’irrigation représente donc un potentiel de diminution très important à prendre en main dès maintenant pour atteindre des objectifs de qualité et de durabilité.

Quelle est ma consommation d’eau et comment se positionne-t-elle par rapport aux références locales ?

Cette gestion de la quantité d’eau à l’hectare doit être davantage référencée avec des indicateurs locaux. L’objectif est d’apporter des référentiels sur les consommations moyennes en eau pour chaque secteur afin de se positionner, et d’engager des actions à partir d’objectifs réalisables. Le Syndicat travaille sur cette notion d’indicateurs via le projet ENVIPROV (voir autre article dans ce même numéro).

Gestion organisée de la ressource en eau

La question de la source est eau est primordiale dans la durabilité du système. 

Aujourd’hui, plus de 82% du système d’irrigation est alimenté par le Canal de Provence, qui puise majoritairement son eau dans le lac de Sainte Croix, dans le Verdon. Ce système est une très grande force pour quatre raisons :

  1. La limitation des forages sur le territoire, qui peuvent avoir un effet très négatif sur la gestion des nappes phréatiques locales.
  2. L’utilisation d’un flux d’eau non destinée : l’eau déviée du lac ne s’écoulerait pas naturellement dans le département du Var mais rejoindrait le fleuve Rhône. C’est donc un apport d’eau d’une source « extérieure » positif qui ne met pas en tension les ressources locales.
  3. La capacité à capter des pluies et évènements météorologiques violents.
  4. La centralisation des apports et une irrigation organisée avec la Société du Canal de Provence (SCP), une structure qui permet de gérer quantitativement la ressource en fonction des consommations.

La proportion d’eau consommée par la viticulture est relativement faible dans le Canal de Provence : la consommation pour les vignes en AOP Côtes de Provence représente seulement 2% des consommations (estimation 2024). Selon les projections climatiques et avec les consommations actuelles, il n’y a pas de risque quantitatif sur la ressource. Si les réserves permettent une extension du réseau, ce qui est le cas actuellement dans les différents départements, les consommations par hectare devront nécessairement diminuer pour sécuriser la ressource.

Une gestion collective

La gestion collective de l’eau est une réponse face à ces différentes problématiques.

Les démarches de qualité sont des leviers efficaces à considérer. Par exemple, le respect du cahier des charges de l’AOP Côtes de Provence permet une gestion contrôlée par différents moyens :

  • la dérogation à l’irrigation – en permettant l’autorisation d’irriguer uniquement si la qualité des raisins est menacée suivant les conditions, par secteur ;
  • la déclaration d’irrigabilité et d’irrigation – en identifiant les surfaces qui seront irriguées ;
  • une charge de production limitée – en limitant davantage la charge autorisée pour les vignes irriguées par rapport aux vignes non irriguées, on limite les apports qui ne sont destinés que pour des objectifs de qualité, et non de quantité ;
  • les contrôles de terrain – pour appliquer les différentes mesures citées précédemment.

Ces actions sont une réelle force pour notre appellation et seraient à promouvoir : une AOP est un signe de qualité et de durabilité.  

Comme le rappel le rapport sénatorial sur la politique de l’eau, les politiques à venir se tourneront vers le partage et l’appropriation de connaissances plus fines sur l’eau avec les différents acteurs de cette gestion, dont le Syndicat fait partie. L’objectif est de collaborer avec les partenaires techniques et les directions territoriales pour adapter les actions en fonction des consommations réelles et des besoins sur le territoire.

Savoir capter les pluies : le défi de demain ?

Savoir capter l’eau ne passe pas forcément par les barrages et peut aussi se faire naturellement : c’est l’approche de l’hydrologie régénérative qu’ont exposé Simon Ricard et Alain Malard lors du webinaire organisé par le Syndicat l’année dernière.

L’hydrologie régénérative, concept en plein essor, veut rassembler toutes les approches visant à restaurer massivement le cycle de l’eau à partir des principes suivants : Ralentir, Répartir, Infiltrer et Stocker (mettre en avant) toutes les eaux de pluie et de ruissellement. Pour résumer, au lieu d’évacuer rapidement l’eau des parcelles (par exemple, par drainage), l’objectif est de capter durablement l’eau sur et autour de ces parcelles pour limiter les phénomènes de sécheresse et d’inondation.

Concrètement, divers types d’aménagements peuvent être réalisés comme des noues ou baissières (fossés sur des courbes de niveau), des mares de petites ou moyennes tailles, des retenues collinaires (à taille limitée), des chemins collecteurs ou encore des dispositifs de parcelles en keyline en fonction de la topographie des zones étudiées.

Cette approche permet de valoriser nos paysages en ajoutant un aspect fonctionnel, tout en conservant l’aspect esthétique. Ces aménagements sont également des solutions mieux comprises des consommateurs et répondant à plusieurs objectifs : on capte l’eau qui tombe tout en créant des zones de biodiversité intense.

Tous ces leviers sont des pistes à étudier ensemble et sont évidemment complémentaires.

Si l’irrigation n’est pas l’unique solution, elle peut être réfléchie pour permettre la mise en place d’autres pratiques (comme les couverts végétaux par exemple) et d’investir globalement dans l’agroécologie.

Cette gestion de l’eau passe par un rôle de pédagogie vis-à-vis des consommateurs.

L’enjeu est de mettre en valeur nos forces (technique alternative, source durable, contrôle de le l’appellation, consommation raisonnée et ciblée) tout en poursuivant des actions concrètes et effectives.

 

Votre contact :

Antoine MATHIASa.mathias@odg-cotesdeprovence.com